dimanche 26 mai 2013

Zoltán Czegö: Comme le mauvais oeil


4 septembre 2008
  Ca te tombe dessus comme la maladie.
  Selon les anciens : comme si l'on t'avait jeté un sort.
  Tu vis, tu te déplaces, tu accomplis ce pourquoi on te donne ton pain et ta soupe. Les clochers des églises deviennent invisibles car tu les vois tous les jours.
   De même pour les corbeaux, oui, tu ne cherches ni ne trouves plus rien dans le regard des corbeaux qui picorent dans les feuilles mortes fraîchement tombées, tout en scrutant les alentours, car ils savent bien qu'il faut toujours craindre quelque chose, qu'il faut se méfier de l'homme plutôt que des chiens.
  Puis, d'un moment à l'autre  -  comme si l'on t'avait jeté un sort... Le mal du pays se faufile dans ton coeur, bouleversant l'ordre étbli, tout est sens dessus-dessous et la tour de l'église banale te rappelle cet autre clocher, lointain.
   Tu suffoques, tu déglutis péniblement, dans l'espoir que ce glissement des sentiments cesse, comme l'avalanche la plus féroce peut se suspendre soudain.
   Tu jettes un regard autour de toi pour vérifier si tout est bien en place et tu songes que cela arrive un peu tôt aujourd'hui; et d'ailleurs, pour quelle raison? Mais tu sais très bien que cela survient toujours sans crier gare, sans prémisses identifiables, il fait irruption pour ravager tout ce qu'il trouve sur son passage. Surtout, il éteint tes forces.
   Tu ouvres la porte du balcon, et, au lieu du brouillard humide chargé d'odeur d'essence de la grande ville  -  comme c'était le cas hier  -  jaillit l'arôme de l'herbe séchée et des feuilles mortes d'une autre ville, d'un village lointain. Car l'odorat ment, tous les sens mentent, tous perturbés par le mal du pays, cette maladie qui te tombe dessus comme le mauvais sort.
   Du haut de ton étage, tu contemples le square devant l'immeuble et c'est la châtaigneraie de là-bas qui escalade ton regard. Tu détournes les yeux, tu mets de l'eau à bouillir pour le thé, tu la verses sur le sachet frais et parfumé et ce sont les fragrances de la menthe sauvage du bord de la Petite-Küküllö qui jaillissent avec la force des digues rompues, elles se figent en toi et ton âme demeure pétrifiée. Car elle sait bien qu'il n'y a ni échappatoire ni duperie ni délivrance, puisque toute tentative timide contre ce sentiment furtif vaut autant que le son de cloche contre l'averse de grêle cinglant les champs. [...]

Traduction : R.T.

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