samedi 15 juin 2013

Gilbert Millet: Comme une madeleine (extrait)


23 mai 2009
  
Le village occupe le plateau, terre de blé, de betteraves. Le lac repose à ses pieds, dans la verdure. Plage, bateaux, un plan d'eau comme il en existe tant. Ce lac, pourtant, joue à mes yeux le rôle de la madeleine de Proust. Enfant, j'y étais conduit par mes parents. Nous y faisions du pédalo, nous marchions sur les berges. N'aimant pas l'eau, je ne me baignais pas. C'est sans doute pour cette raison qu'adulte, je n'y suis jamais retourné. Monampteuil était sorti de mon esprit.
    Je n'étais pas le seul  à perdre la mémoire. Le parc nautique de l'Ailette avait pris le dessus, détourné le public. Perte de renommée. C'est le hasard qui m'a rendu Monampteuil. Une carte de l'Aisne tombe sous mes yeux. J'y retrouve les itinéraires des randonnées cyclistes de l'adolescence. Des noms renaissent, communes que mon vélo traversait, où je n'ai sans doute jamais posé le pied : Pargny-Filain, Chevregny, Urcel, Chavignon, Monampteuil... Je me souviens qu'en 1956, alors que j'étais allé souhaiter la bonne année à mon arrière-grand-père, nous fûmes bloqués sur le plateau par un verglas soudain, incapables de regagner Laon. Deux jours de vacances imprévues à la ferme. Je me souviens qu'un avion, un jour, s'écrasa dans le lac, que son pilote périt. Je me souviens...
   La nostalgie n'est pas mon fort. J'aime me moquer de tous ces gens qui décorent le passé de grâces surnaturelles, parce qu'ils ont vieilli, que leur enfance figure un paradis perdu. Dans les gravières proches de Monampteuil, on trouve des coquillages, fossiles d'un temps où la Picardie gisait au fond de la mer. Faut-il, en regardant le lac, rêver du temps béni où ses eaux composaient l'océan ? Passé pour passé, je préfère celui qu'on recueille avec précaution, dans les archives, dans les bibliothèques. Sous la terre également. Mon instituteur du cours élémentaire première année était archéologue, spécialiste d'un passé lointain, paléolithique, néolithique. Il amenait en classe des pierres taillées, polies, qu'il avait recueillies, nous expliquait leur fabrication, leur maniement, la vie des hommes préhistoriques. J'ai retiré de ces leçons un amour de l'histoire qui tente d'approfondir les mystères de nos origines, de comprendre d'où vient l'homme, quelles vicissitudes il a traversées. J'en ai gardé de même un goût pour le progrès. Jamais je n'éprouverai l'envie de retourner dans les cavernes, de chasser le gibier avec des pointes de silex. Au feu de bois, je préfère les douceurs du chauffage central, un bon livre à la main.

"Picardie, autoportraits"  recueil collectif  

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