samedi 6 juillet 2013

Bribes de mémoire 5. Enfance, soleil...


9 août 2008
   Lorsque je me retourne sur ce chemin, je perçois du soleil, une sensation de chaleur constante et enveloppante qui ne vient pas uniquement du ciel bleu de mes souvenirs, assurément. Un sentiment est absent : la solitude. Mon frère est un compagnon de jeu de chaque instant  -  nous n'avons pas tout à fait deux ans d'écart  -  jusqu'à l'adolescence. Avec les autres enfants du voisinage, plus ou moins du même âge, les enfants de la paix revenue, nous inventons nos jeux, faute d'avoir des jouets sophistiqués à notre disposition. Ces jeux se déroulent en plein air : les adultes ne tiennent pas à nous avoir dans leurs pattes à l'intérieur et nous sommes donc oxygénés en permanence. Nul besoin de promenade à portion congrue dans un square rabougri où s'entassent enfants, vieux et chiens en laisse. Tout le quartier nous appartient, avec ses cachettes connues de nous seuls.

   Nous passons les trois mois d'été pieds-nus. Fin mai, l'abandon des chaussures est un signal excitant de l'arrivée de la vraie chaleur, celle qui monte allègrement au-dessus de 30° et qui ne doit pas pour autant empêcher les hommes et les travaux d'avancer. Les maisons restent fraîches avec leurs murs en torchis de plus de cinquante centimètres d'épaisseur, trapues, toutes de plain-pied. Le sol est en terre battue, badigeonné régulièrement et recouvert de tapis artisanaux, confectionnés avec des chutes de tissus qui mettent couleurs et gaîté dans la sobriété des murs chaulés.
   Dans les cuisines, le foyer en terre des débuts est remplacé  -  signe du progrès  -  par une cuisinière en fonte, nourrie toujours par des tiges de maïs séchées, du bois, voire de grosses galettes de bouses de vache séchées mélangées avec de la paille, dans des périodes de vaches maigres, pour ainsi dire... Cela ne donne que l'illusion de la chaleur.
   Lorsque le soleil, fatigué d'épuiser la terre et les vivants se décide de descendre à l'horizon, nous dessinons des grands huit avec nos arrosoirs sur le trottoir. Les voisins s'installent sur les bancs et les tabourets pour prendre de la fraîcheur, dévider les nouvelles et la fatigue de la journée, deviser ou se taire. Les femmes prennent parfois au creux de leur tablier petits pois à écosser, pommes de terre à éplucher, vêtements à raccommoder, tâches plus légères en compagnie et qui évitent de rester les mains inoccupées. Je vois encore mon père ou mon grand-père affiler la faux ou la binette, assis dans l'herbe devant la maison, encouragés par les passants occasionnels. Comment se sentir seul dans de pareilles conditions?

3 commentaires:

  1. C'est beau, cette absence de solitude, ce dessin qui en découle et la vie qui semble aller de soi entre ciel et terre comme si la question du pourquoi de l'existence ne se posait pas.

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    2. Tu es donc de retour, ma chère Mu! Tu inaugures les commentaires et cela me fait très plaisir.
      Oui, le bonheur découle parfois des choses simples comme le prouvent nos souvenirs d'enfance...

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