mardi 2 juillet 2013

Sylvain Tesson: Dans les forêts de Sibérie


7 janvier 2012
 Dès que j'en ai entendu parler, une envie irrésistible m'a attirée vers ce livre. Un journal de bord, jour après jour, des six mois de retraite de l'auteur au bord du lac Baïkal (le plus grand réservoir d'eau douce de la planète, avec ses 31500 km2, une pureté et une profondeur unique à 1630 m, un lac vieux de 25 millions d'années...). De février en juillet, en Sibérie, on vit surtout l'hiver, à - 33°, dans une cabane de pêcheur de 3 m sur 3, en rondins de bois, avec un poêle en fonte pour tout confort, à condition que l'on coupe son bois... Le lac gelé à plus d'un mètre de profondeur, sert de voie de circulation. Pour pêcher, il faut tailler un trou dans la glace. A 30 km à la ronde, pas de voisin. Des visites, très rarement, de quelques pêcheurs ou géologues, aussi "sauvages" que lui, pour vider quelques verres de vodka ou de thé. Des traces d'ours parfois, histoire de ne pas se faire oublier. Et surtout, un paysage grandiose, changeant et toujours merveilleusement renouvelé.
   Des cahiers vides à remplir, une caisse d'une bonne soixantaine de livres à déguster. Une rencontre avec soi-même. L'écrivain globe-trotter Sylvain Tesson, à 37 ans, en éprouve un besoin irrésistible: "J'ai atteint le débarcadère de ma vie. Je vais enfin savoir si j'ai une vie intérieure."
   La "cabane" devient un symbole, un concept philosophique. "La cabane est le lieu du pas de côté." Posséder le temps, c'est acquérir la liberté. Courir à travers l'espace est une fuite en avant. Une course effrénée devant l'angoisse de la confrontation avec soi-même, avec sa finitude. "Dans la cabane, le temps se calme. Il se couche à vos pieds en vieux chien gentil et soudain, on ne sait même plus qu'il est là." Ce qu'il cherche, c'est l'apaisement par la conquête d'une liberté intérieure, la seule véritable. "Pour parvenir au sentiment de liberté intérieure, il faut de l'espace à profusion et de la solitude. Il faut ajouter la maîtrise du temps, le silence total, l'âpreté de la vie, et le côtoiement de la splendeur géographique. L'équation de ces conquêtes mène en cabane."
   L'ermite qu'il devient se détache progressivement du monde, pour constater avec stupeur et un certain effroi: ni mes biens ni les miens ne manquent... Dans la solitude, les pensées prennent de l'ampleur, rien ni personne n'entrave leur jaillissement, leur approfondissement, jusqu'à la conclusion ultime: "Qu'elle est légère, cette pensée! et comme elle prélude au détachement final: on ne se sent jamais aussi vivant que mort au monde!
   Est-on obligé de s'installer au bord du lac Baïkal, dans un  froid de gueux, pour conquérir sa liberté? Bien sûr que non. "On peut trouver le silence dans ses voûtes intérieures", même au milieu d'une grande ville.
   Moi qui ai tant de mal à me décider pour regagner mon lit, le soir, j'attendais le moment des retrouvailles avec le livre de Sylvain Tesson. Comme un rendez-vous jubilatoire avec des idées qui faisaient écho à mes propres préoccupations, confirmant ce qui était en gestation lente et incertaine au fond de moi, depuis le début de la solitude, imposée par la mort de Gilbert et choisie ensuite. Par nécessité de la rencontre avec soi-même. Les notes quotidiennes: un autre écho justifiant ma graphomanie somme toute récente. Une nécessité de fixer le temps, du moins s'en donner l'illusion, ai-je noté dans mon "cahier rouge" il y a deux ans. Sylvain Tesson, graphomane talentueux et expérimenté le dit bien mieux: "J'écris un journal intime pour lutter contre l'oubli, offrir un supplétif à la mémoire. Si l'on ne tient pas le greffe de ses faits et gestes, à quoi bon vivre: les heures coulent, chaque jour s'efface et le néant triomphe. Le journal intime, opération commando menée contre l'absurde. J'archive les heures qui passent. Tenir un journal féconde l'existence." Merci d'avoir ainsi aidé à clarifier le sens de ma vie.

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