dimanche 18 août 2013

Bribes de mémoire 12. De mon grand-père paternel (3)


12 septembre 2008

  
son portrait fantaisiste par moi à 12 ans
Les années de paix, mon grand-père fait vivre sa famille tant bien que mal, en vendant la force de ses bras. Toute la famille doit y contribuer : ma tante est bonne chez des gens aisés, mon père, à six ans, garde les oies d'un paysan et mes grands-parents sont saisonniers, au gré de la demande pour les travaux des champs. De temps à autre, on confie à mon grand-père un troupeau de bovins à conduire jusqu'au fameux marché à bestiaux, à pied, à deux cents kilomètres plus loin, dans la célèbre plaine de Hortobágy, devenue attraction touristique de nos jours. A l'époque, c'est la route de tous les dangers, repère de détrousseurs de grand chemin. La nuit, on fait halte dans des auberges plus ou moins louches et le matin, on peut se réveiller dépouillé de l'argent du marché, l'argent qui ne vous appartenait même pas ! C'est ce qui arrive à mon grand-père un soir où il a l'impression de tomber dans un sommeil sans fond...
   Chemin faisant, il apprend sa géographie, en récitant par coeur les noms de tous les villages traversés et, des années plus tard, nous apprenons à les réciter avec lui, à notre tour, mon frère et moi.
   En hiver, il nous fabrique des jouets rudimentaires et extraordinaires, à partir des tiges de maïs reliées avec des allumettes : une paire de boeufs tirant une charrette. Lorsque nous le supplions de nous faire un dessin, ses doigts déformés par le travail dur ont du mal à tenir le crayon pour exécuter l'unique dessin dont il a l'habitude : un cheval qui commence immanquablement par un grand 2...
   Il ne nous gronde jamais, et nous évitons de désobéir devant sa gentillesse désarmante. Déjà vieux, il est très fier d'être encore capable, démonstration à l'appui, d'exécuter un poirier impeccable qu'il a, jadis, au sommet de sa gloire, produit sur le toit d'une maison, en haut de la cheminée !
   Je n'ai jamais vu mon grand-père aller à la messe. Cependant, le soir, la mémoire le restitue se préparant au coucher, à l'immuable rituel du pliage lent et scrupuleux de ses habits, aux murmures de ses prières perpétuelles qui se terminent par les noms de tous ceux qu'il aime, les recommandant à la grâce de son dieu...

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