mardi 11 février 2014

Bribes de mémoire 17. Vacances d'été


   
   Curieux pouvoir suggestif maternel sur l'imaginaire enfantin ! Ma mère nous transmet ses sensations, sa propre nostalgie, débordantes dans ses récits, jusqu'à l'intonation de sa voix, pour ce coin de paradis ainsi créé qui, chose étonnante, se montrera à la hauteur, tous les étés de nos vacances de rêve...
   Objectivement, c'est un petit village perdu dans des collines boisées, mais pour nous, enfants de la Grande Plaine, habitués à sa  "planitude" absolue, la moindre bosse est empreinte d'exotisme. Une unique route asphaltée le traverse; les autres rues sont de sable et de poussière, transformées en torrents qui les dévalent, par temps d'orage. Les gens vivent de leurs maigres parcelles, ayant été forcés de se regrouper en coopérative après la répression qui suit les événements de 1956. Ils ont droit à un lopin privé, aux côtés des terres "communes". Malgré le fait que tous sont logés à la même enseigne, la distance entre paysans riches et pauvres de jadis persiste dans les consciences et empoisonnera quelques amours dépareillées.
   J'y passe les étés de mon enfance et de mon adolescence, dans un bonheur absolu (si, si, ça existe!), dans la légèreté octroyée par la liberté loin des parents, sous l'affection bienveillante de ma tante. Pourtant, aucune distraction sophistiquée à l'horizon: la télévision fait son apparition vers mes 15 ans, par un unique poste dans la Maison de la Culture. Cette dernière sert aussi de salle de projection pour la séance hebdomadaire de cinéma. Une épicerie, un bureau de poste, une école et une église - les adolescents de nos jours consentiraient-ils à sacrifier un seul jour de leurs vacances dans un tel trou perdu? 
   Je loge le plus souvent chez ma tante. Je garde leur vache, je participe aux travaux des champs : ramassage du foin, des pommes de terre, désherbage du maïs, je marche parfois des kilomètres pieds nus, mon grand plaisir. Il arrive qu'à la tombée du jour, nous arrêtions en chemin une charrette qui rentre, chargée d'une montagne de foin que j'escalade pour enfouir mon nez dans ce "matelas" au parfum de l'été.
   Mes tantes m'accompagnent à mes premiers bals; elles font "tapisserie" pour servir de gardes rapprochées. Premiers flirts ingénus : comment aurait-il pu en être autrement sous autant de regards vigilants? Mais cela n'empêche pas les premiers frissons, les regards obliques échangés, les étreintes chastes de ces danses démodées qui permettent de se toucher au lieu d'enfermer chacun dans sa bulle solitaire...

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