lundi 17 février 2014

Dame Jeanne (microfiction)

   Par la fenêtre latérale, j'aperçois une branche du tilleul. Son balancement rythme, sur le chapelet de mon temps, les secondes qui défilent, inexorables. Le vert insolent des feuilles me suggère le souffle doux et vigoureux du vent printanier, celui que j'aimais tant, chargé des odeurs de l'averse violente et pressée... A l'image de ma vie...
   J'en ai bien profité, c'est vrai. Rien de perdu, aucun regret. Suis-je née sous une bonne étoile? Malgré la fin du parcours, je dirais oui, sans hésiter. Ce qui compte, c'est le milieu. Et il a été total, comblé... Si Don Juan existe-t-il au féminin, j'ai été cette conquérante.
   Je suis clouée sur ce lit, à présent. Je ne me remettrai plus debout. Le personnel soignant est très aimable,  souriant imperturbable, comme si mon état n'inspirait pas plus de compassion que celui de quiconque, débordant de santé... Je leur en sais gré. L'ombre d'inquiétude décelée dans un regard me plongerait dans un puits de détresse.
   Je ne peux pas dire que la nature m'a gratifiée d'une grande beauté. Plutôt du charme, ce pouvoir mystérieux qui me permettait d'ensorceler à peu près tout ceux que je voulais. Je les enveloppais dans un halo envoûtant qui les tétanisait : une pincée de promesse de félicité, un brin de fragilité qui leur laissait la possibilité de s'immiscer dans la fêlure... Rares sont les hommes qui ne sont pas flattés à l'idée de protéger le sexe faible. Le tout saupoudré d'un peu de mise à distance afin qu'ils soient ferrés à jamais, leur laissant entrevoir l'immensité de la perte si je leur échappais...
   Je me suis bien amusée et ce n'est pas si mal. Il y a des bilans plus bancals. A présent, je sais que c'est fini. Je me contente de demander à mes anges gardiens en blouse blanche de m'épargner la douleur. Je veux naviguer sur mon Styx sans souffrance, sans angoisse, et apercevoir les rivages inconnus les yeux ouverts. Avec même une certaine curiosité.

2 commentaires:

  1. Je pourrais être Dame Jeanne je pense...
    Les yeux grands ouverts, béants de certitude assumée ou non de notre futur éventuel, et de notre finitude, inexorable...
    Epargner la douleur...
    S"épargner la douleur,
    Laisser à d'autres le soin de m'épargner la douleur...s"ils le veulent...
    si la loi des hommes le leur permet, si leur conviction spirituelle le leur permet...
    Ceux qui décideront ne nous connaissent pas de notre vivant, là est le problème...

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    Réponses
    1. Merci de ta visite, chère Anonyme! (une femme, je suppose...) Je ne sais donc pas si je te connais ou pas, du moins par pseudo...
      J'aimais bien ce personnage et je ne sais pas si j'aurai son courage au moment venu...

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