vendredi 14 mars 2014

André Lorant: Le perroquet de Budapest (roman)


   

    Je viens de terminer la lecture du livre autobiographique de André Lorant, éminent universitaire, spécialiste de Balzac. Le perroquet de Budapest, paru en 2002 aux éditions Vivane Hamy m'a intéressée d'abord en sa qualité de témoignage d'un déraciné sur le travail "d'archéologie scripturaire" accompli à la recherche de son passé (j'ai retrouvé la métaphore de plongée archéologique que j'avais utilisée dans un de mes textes, avec une satisfaction puérile).       A part cette tentation, à peu près tout nous sépare. De presque vingt ans mon aîné, il n'a pas vécu la même époque. Juif converti par précaution, obligé de porter l'étoile jaune pendant la guerre, caché pendant les vagues de déportation, il subit une nouvelle humiliation par le nouveau régime. Descendant de la grande bourgeoisie de la capitale, non seulement il perd sa fortune et ses privilèges, mais il doit les porter comme des stigmates honteux. Il quitte le pays en 1956 pour Paris.

   Ce qui m'a intéressée aussi, c'était de savoir à quel point on peut adopter une nouvelle langue (ou être adopté par elle) jusqu'à ne plus déceler le moindre frémissement subliminal de la langue d'origine. Il est vrai que les nounous françaises de son enfance lui facilitent grandement la tâche et ses études littéraires l'y aident également. Il écrit un beau français parfait et sensible, composé tel un morceau de musique - musique qui ne cesse de parcourir et de teinter son texte - et je finis par me demander si le hongrois joue véritablement le rôle de la langue maternelle dans son enfance, dans sa vie. Il a le sentiment - avec quelques bonnes raisons - d'avoir  été rejeté deux fois par le pays qu'il rejette à son tour. Quarante ans plus tard, il y retourne à la recherche de son passé, pour tenter de renouer le fil rouge cassé. "La réalité de là-bas, je ne l'ai comprise qu'ici, et je ne peux formuler qu'en français la charge affective dont sont investis les événements majeurs de mes années de jeunesse. Je me sens détaché de la langue magyare, alors que j'ai vécu ces événements en hongrois." Ces phrases résonnent en moi, terribles et triomphantes. Je rédige instinctivement mes notes en français : j'ai l'impression que la distance prise avec ma langue maternelle (avec la mère ? disait mon amie Monia) libère ma parole.
   Par ailleurs, un abîme nous sépare. Son délicat et somptueux cocon bourgeois est menacé par des "hordes sauvages" communistes  -  composées en partie de gens semblables à mes ancêtres démunis... Lui, même dépouillé de ses privilèges, n'atteint pas, et de loin, le degré de leur misère... Ils ne lui inspirent que dégoût craintif et distant, sinon condescendance paternaliste à l'égard de quelques serviteurs méritants...
   Comme quoi, nous sommes aussi "produits" de nos milieux d'origine...

* article paru sur http://flora.over-blog.org le 23 mars 2009

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire