mardi 16 juillet 2013

Bribes de mémoire 7. Des cochons heureux...


16 août 2008
  Le grand événement de l'hiver que je pourrais appeler "le sacrifice du cochon", tellement il est empreint d'un rituel immuable, a lieu au moment le plus froid de l'hiver, aux alentours de janvier, février. A la campagne, jusqu'aux années soixante, le réfrigérateur est inconnu. Quand il fait -25° dehors, dans la petite pièce qui sert de réserve pour la nourriture, la température avoisine 0° : plus froid que dans un réfrigérateur!   

   Comme la plupart des familles à la campagne, nous élevons des animaux : poules, cochons, veaux et longtemps, nous avons même une vache qui assure nos besoins en lait, frais ou caillé et en crème fraîche épaisse. Il en reste même pour la revente. Mais la grande affaire quasi affective pour mon grand-père, et pour mon père ensuite, demeure l'élevage des cochons. Ah, c'est bien loin des proportions et des nuisances des élevages industriels: on garde une truie pour la reproduction, conduite solennellement - et à pied!  -  chez le mâle attitré, au moment venu, et des jeunes pour les engraisser avant d'en soumettre un au "sacrifice" annuel, lorsqu'il atteint les 150 - 200 kg.
   Un cochon, c'est affectueux, attachant; mon père s'amuse à leur donner des prénoms issus de feuilletons de télé américains: c'est ainsi qu'ils accourent lorsque retentissent dans la cour les Samantha, Pamela ou Lucy... Ils sont très propres, contrairement aux idées reçues qui leur collent à la peau. Il faut dire qu'ils sont logés quatre étoiles: leur porcherie dispose d'un compartiment "nuit" où ils s'enfouissent dans la paille blonde et fraîche jusqu'au bout du museau, tandisque pour les besoins et les repas, ils choisissent immanquablement "l'antichambre" au sol pavé de briques et nettoyé quotidiennement aux grandes eaux. Dans la cour arrière, mon père leur confectionne une "piscine" où ils se prélassent les jours de grosse chaleur car ils ont leurs heures de sortie dans la cour pour se dégourdir nos futurs jambons fumés. La fin de l'adolescence est marquée pour eux par un bout de fil de fer (inoxydable) qui transpercera leur museau à deux endroits pour les empêcher de retourner la terre par instinct ancestral, certes, mais qui n'arrange pas les hommes. Nous vivons ainsi, dès l'enfance, dans une proximité immédiate avec les bêtes, loin des relations névrosées d'un husky de Sibérie attaché au radiateur de son maître en mal de soumission inconditionnelle... Chacun à sa place et respect mutuel, dépourvu de sensiblerie anthropomorphe excessive. Les poules et les cochons, on les aime et jusqu'au bout, y compris lorsqu'ils atterrissent dans nos assiettes!

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