vendredi 31 mai 2013

Gilbert

5 juillet 2008


(...) De demi-ton en demi-ton, monte la perfection rugueuse des pierres hissées, du plus loin des carrières, par les boeufs massifs avides de se changer en gargouilles, de contempler l'horizon nuageux tout en crachant une pluie sale. Isabelle s'est allongée, dans sa posture de gisant. Cette pétrification est le contraire d'une paralysie. Ainsi couchée, elle sent le choeur se bâtir de sa chair durcie, de ses os, puis le transept, la nef et la façade, le jubé, les voussures, les travées et les voûtes, croisées d'ogives à l'acoustique parfaite que la musique borne et traverse. Sans efforts, son chef-d'oeuvre se hérisse de tours octogonales où culminent les flèches.
            * Denn alles Fleich, es ist wie Gras
              und alle Herrlichkeit des Menschens
              wie des Grases Blumen.
L'herbe et les fleurs des champs chatouillent ses paupières, picotent ses narines et c'est la renaissance de la couleur, les vitraux qui se tissent de croches, des clefs de sol, se vitrifient de rondes et de soupirs, d'éclats de verre, résilles de plomb, de triolets où les ouvriers se mettent au travail, échelles, marteaux, sous l'oeil d'un diable jaune. Humble et contrit, Théophile pénètre dans l'église qu'il a fait construire, s'agenouille devant l'autel de la Vierge. (...)
* "Car toute chair est comme l'herbe / toute la gloire de l'homme / est comme la fleur de l'herbe" Première Epître de Pierre; deuxième partie du Deutsches Requiem de Brahms.
Gilbert Millet: Le Déchant, roman, éd. Nestiveqnen, 2005

 Le sept juillet 2006, vers sept heures du matin, il a cessé de respirer soudain, laissant béant l'immense espace qu'il occupait jusque là. Depuis, le mystère indéchiffrable de la mort se dresse devant moi à chaque instant: comment peut-on, dans une fraction insaisissable de l'instant, devenir RIEN, après avoir été TOUT? Devenir fantôme de plus en plus évanescent du souvenir...
   Je ne possède aucun remède réconfortant d'une croyance en un au-delà, d'une âme  qui veillerait sur moi avec mansuétude. C'est le souvenir puissant d'un combat héroïque de chaque instant qui me transmet son incroyable énergie, suppléant à la tristesse une volonté de faire de chaque jour fugace quelque chose de sensé qui ne le laisserait pas s'enfuir sans laisser de trace.

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