vendredi 16 août 2013

Bribes de mémoire 10. De mon grand-père paternel (1)


1 septembre 2008
   Avant que l'omniprésence magique de la télé ne gagne les foyers, les occasions sont nombreuses pour la transmission de l'histoire familiale. Nous, les enfants, sommes insatiables à écouter et à réécouter les récits de mon grand-père dont la guerre avait fait un aventurier bien malgré lui.
  
Le portrait de mon grand-père fait vers mes 14 ans
Je me rends compte soudain que d'un côté comme de l'autre, c'est le grand-père qui raconte. Pourtant, tout nous fascine dans ces vies d'autrefois dont nous sommes issus mais de mes grands-mères, je ne saurai presque rien. Pourquoi? Mystère... Je pencherais plutôt vers une habitude inculquée par une éducation séculaire : la femme se tait et écoute l'homme qui ramène les histoires du monde extérieur.
   Mon grand-père paternel est né en 1887, dans une famille dont la seule richesse était ses nombreux enfants. Pendant la bonne vingtaine d'années que je l'ai connu, il a toujours la même tête, la même silhouette, sans vieillir ou toujours vieux : très petit (1 m 60 à peine), vif sans jamais se presser. Mais ce dont je me souviens le plus c'est son sourire qui éclaire le visage et les yeux bleus lumineux que j'espérais vainement en héritage... Mon grand-père, c'est un tout : une réelle bonté, une gentillesse dont je ne l'ai jamais vu se départir, jamais entendu lâcher un juron qui soulage la colère et dont la langue hongroise est si généreuse. Je me demande souvent quel était son secret, quels gènes familiaux distribuaient cette joie de vivre indestructible, simple et permanente dont ses frères et soeurs étaient également pourvus...
   La plupart du temps, il n'y a
 même pas de croûtons secs à picorer dans la corbeille à pain. On amène donc les enfants au marché, dès l'âge de six ans, pour essayer de les caser chez les paysans riches. Ces récits comme leur souvenir me serre le coeur, encore et toujours. Et pourtant, mon grand-père les raconte avec le sourire, comme une fatalité simple et évidente, à laquelle il a survécu : il est donc le gagnant, en fin de comptes.
   Chez le paysan, il dort avec le bétail, dans la paille de l'étable. Il dit que ça tient chaud, une vache qui vous souffle dessus, il lui en est reconnaissant. La paye pour un an de peine : un demi-sac de blé et une paire de bottes usagées mais on est nourri et logé. Le fils du patron est un plaisantin sadique : il le suspend au-dessus du puits par une jambe en lui faisant peur de le lâcher... Il l'oblige à marcher à cloche-pied sous peine de le piquer avec une fourche s'il pose le pied... Je retiens mon souffle et regarde son sourire édenté. Il n'a qu'un seul regret : être privé de l'école comme exclu du paradis. A l'armée, on lui apprend à signer son nom avant de l'envoyer sur le front russe...

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